Quand la nuit devient jour

Sophie Jomain, « Quand la nuit devient jour » chez Pygmalion

Ce roman de Sophie Jomain est paru en avril 2016 aux éditions Pygmalion. Je l’ai lu, ou plutôt dévoré, dès sa sortie (enfin dès que j’ai réussi à le dénicher car il était très difficile à trouver chez les libraires de mon plat pays).

Mon premier article de livre

Derrière la démarche créatrice de ce blog, il y avait évidemment, vu le nom, la volonté de parler de littérature.

Mais, pas de la manière dont j’ ai eu l’habitude de le faire sur les forums ou blogs où j’ai été chroniqueuse avant. Je ne veux pas uniquement parler d’un livre pour en faire un résumé et une critique. Je veux le faire dans un sens où le mot « littérature » prend une signification plus large. Je souhaite vous parler d’auteurs, de maisons d’éditions, de sagas qui me touchent. Je veux vous faire part de mon ressenti et apporter une réflexion au sujet de ces lectures.

Ce blog est un lieu de partage et d’interactions. En effet, j’espère que les lecteurs qui passeront par ici, n’hésiteront pas à laisser leur ressenti en commentaire, ils sont les bienvenus.

Pourquoi ce livre ?

Sophie Jomain a « l’honneur »  de servir de cobaye avec son livre atypique. Mais, avant de rentrer dans le vif du sujet, je vais vous exprimer les raisons qui m’ont poussé à le choisir :

  • La première : je l’ai relu récemment.
  • La deuxième : je le trouve magnifique.
  • La troisième : il a trouvé un écho en moi que je n’aurais pas soupçonné. Il m’a bouleversée et ça m’a fait du bien.

Pour moi, un blog doit être « personnel », on doit y mettre du sien, sinon, il n’y a pas d’intérêt dans la démarche. Les plus beaux mots peuvent se suivre et former des belles phrases pleines de sens … mais il n’y aura pas d’âme.

En quelques mots

Il relate l’histoire de Camille, une jeune femme souffrant de troubles dépressifs depuis sa plus tendre enfance. Elle partage avec le lecteur ses souffrances, son mal être, et son désarroi face à sa maladie. Sa libération, après des années de traitements et de thérapies infructueux, sera l’euthanasie prévue pour le mois d’avril…

Il y a donc deux thèmes principaux dans le roman : dépression et euthanasie. Et je désire parler des deux.

Un lectorat qui joue à cache-cache

Il y a quelques semaines, je lisais le statut de l’auteur sur facebook. Elle était triste que ce roman n’ait pas réussi à trouver son public. J’aimerais lui dire que ce roman est là et a été écrit pour durer : il rencontrera ses lecteurs avec le temps. Sa thématique est tellement difficile et taboue dans notre société qu’il lui faudra du temps et du bouche-à-oreille pour qu’il fasse son trou dans l’univers impitoyable de la littérature.

Bousculer son lectorat en lui donnant autre chose que ce dont il a l’habitude, c’est faire preuve de courage, mais ce n’est pas, si j’ose dire, du suicide. La preuve, finalement, c’est qu’une fidèle lectrice comme moi ait apprécié ce changement et ait même décidé d’en faire la publicité à travers cet article, chose que je ne ferais peut-être pas pour d’autres livres dont je sais qu’ils trouvent aisément déjà leurs habitués.

Sophie Jomain

Une œuvre personnelle ?

Ce livre est le plus personnel et le plus émouvant de Sophie. J’ai pleuré tout du long mais j’ai également ri de bon cœur. Cœur qui, cela dit, restait le plus souvent serré dans ma poitrine. Elle a réussi à dépeindre la dépression sans sombrer dans la caricature ni basculer dans le pathos ou la mièvrerie. J’ai été touchée par le personnage de Camille. J’avais envie de la comprendre et de la rassurer. Par ailleurs, je me suis beaucoup retrouvée dans cette personnalité.

Dépression ? le mot est lâché

Actuellement, je me bats contre la dépression. Elle s’est manifestée dans ma vie il y a quelques mois, mais il y a des années qu’elle couvait insidieusement.

Il n’y a évidemment aucune honte à cela. Mais les petites voix me font entendre qu’il vaut mieux ne pas en parler. Et pourtant, c’est bien ce que fait ce livre avec raison. Oser le faire peut donner du courage à d’autres d’embrayer. Et, si je pense que ça ne guérit pas, ça aidera à ne plus en avoir honte et c’est déjà un peu thérapeutique. Voilà un message positif que je veux retenir de cette lecture.

Aujourd’hui, c’est à coup de thérapie et de remises en question que je me débats. Il m’est très difficile d’en parler car, comme évoqué plus haut, cette maladie est taboue et peu reconnue (en tout cas les souffrances qu’elle occasionne).

Une longue traversée du désert

Elle n’est pas visible aux yeux des autres. Souvent, on me dit : allez, ça va aller ! tu vas voir, ce n’est pas grave, tu vas t’en sortir… J’aimerais le croire mais avec l’état d’esprit dans lequel je me trouve, il est dur de voir la lueur d’espoir. Le combat contre la dépression est une lutte longue et quotidienne.

Le matin, je me lève difficilement, j’ai envie de rester sous la couette. Je m’oblige à en sortir car il faut continuer à vivre et à rester active. Je vais conduire la fille de mon compagnon à l’école et ensuite, je le dépose à la gare. Je rentre à la maison et me retrouve seule face à moi-même. Il y a des jours où ça passe et d’autres où c’est le calvaire intégral (saute d’humeur, crise de larmes, incompréhension, envie de rien si ce n’est de dormir et d’être tranquille afin de ne plus rien ressentir). Chaque geste anodin du quotidien est difficile et me prend une énergie monstrueuse, mais il m’est impératif de les faire. Toutefois, grâce au repos, au soutien de ma famille et de mes amis et au travail entrepris avec ma thérapeute, les semaines sont rythmées de hauts et de bas, mais avec de plus en plus de hauts.

Culpabiliser au lieu de se réjouir

J’essaie de faire des activités qui me font du bien, des choses pour moi et d’y prendre du plaisir. Cependant, je culpabilise de les faire, de partager ces moments de petit bonheur car j’ai peur qu’on me traite de menteuse. Je ne me sens pas légitime dans ma maladie. Et je pense que je ne suis pas la seule à ressentir cela. Le mal qui nous ronge est invisible et inconcevable pour certains. Pour beaucoup, il est compliqué de comprendre ce que vit une personne dépressive car bien souvent ce sont des personnes qui, en apparence, ont tout ce qu’il faut pour être heureux. Et c’est mon cas : j’ai un super amoureux, une famille géniale, des amis fantastiques, des passions et des loisirs mais un grain de sable peut tout enrayer et c’est la chute…

Je rassure …

Je n’en suis pas au point d’avoir des pensées suicidaires, au contraire, je sais que la vie peut et sera un jour plus belle. Et je veux sortir de cette spirale infernale. Pour cela, j’ai ma famille et mes amis pour me soutenir, m’encourager, me confier et m’aider à prendre soin de moi. Car c’est en partie de cela qu’il s’agit : prendre soin de soi ! A force de s’occuper des autres et de penser à eux, on s’oublie et on tombe dans le trou.

Apprendre ce qu’on n’a jamais appris

Pour quelqu’un d’empathique (une vraie éponge) et qui a toujours essayé de protéger son entourage au détriment d’elle-même, il est difficile de s’occuper de soi.

De plus, quand on a l’habitude de survivre, il est difficile de VIVRE. Il faut prendre goût à la vie, apprécier les petites choses. Il faut se faire plaisir et faire des choses qui font du bien. Malheureusement, ce n’est pas évident de sortir de chez soi, d’affronter le monde et ses regards. On a constamment ce sentiment d’être épié, d’être montré du doigt. Alors qu’en fait tout le monde s’en fout ! Mais la paranoïa et le négativisme font partie intégrante de la maladie.

Honte de mon corps

Suite au grain de sable qui a enrayé le disque de ma vie, j’ai pris du poids. De fil en aiguille, j’ai à nouveau ressenti cette honte de mon corps. Je n’aime pas ce qu’il est devenu à cause de mon mal être.

Je me sens lourde, grosse et ballonnée. Pour perdre ce poids qui me pèse, il faut que je fasse du sport, mais me mettre en maillot de bain est au-dessus de mes forces ! Comment montrer mon corps alors que je me sens mal dedans ? Je sais que les gens s’en foutent, je rationalise très bien tout ça, mais malgré tout, j’ai peur de sentir leur regard sur moi, de revivre ce que j’ai vécu adolescente.

Et ce problème de considération est évidemment une part non négligeable du problème. Ne dit-on pas qu’à force de se l’entendre dire, on finit par y croire ?

Distinguée ?

Cependant, je dois avoir un comportement masochiste car si j’ai horreur du regard des autres, que je n’aime pas la manière dont ils me dévisagent dans le rue à cause de mon originalité, je la mets en avant.

J’ai besoin de la montrer au monde, car je ne veux plus me cacher. Mais ne serait-ce pas de la provocation pour qu’on me fasse à nouveau du mal ? Je ne sais pas. Il y a une véritable dualité entre ce que je ressens et ce que je fais. Je le fais car j’aime avoir les cheveux bleus ou mauve, de porter des robes type 50’ ou des corsets. Mais d’un autre côté, pourquoi est-ce que je porte cela ? Et pourquoi est-ce que je ne l’assume pas vraiment ? Est-ce une punition que je m’inflige afin de revivre ce que j’ai vécu adolescente ou simplement un besoin de domestiquer cette peur d’être moi-même et appréciée comme telle ?

L’ascenseur émotionnel

Chaque période up est suivie d’une période down. Il y a quatre ans j’ai perdu du poids, je me sentais enfin bien dans mon corps et bien dans ma peau. Je faisais les choses pour moi, j’allais au sport, je mangeais sainement, je rayonnais et j’étais enfin moi… Et puis quelques grains de sable sont venus tout embrouiller : moins de temps pour prendre soin de moi et des problèmes familiaux qui me donnent beaucoup de soucis. Le résultat a été rapide. Je me suis à nouveau perdue : prise de poids, réconfort dans la nourriture et la malbouffe, mauvais sommeil.

En me réfugiant dans le travail, j’avais trouvé une échappatoire. Mais au fil des mois et des années, je me suis laissée bouffer. Je m’étais tellement investie pour faire les choses convenablement qu’il m’était devenu impossible de refuser quoique ce soit. Au lieu de déléguer, je faisais les choses moi-même afin de ne pas perdre le contrôle. Je me suis laissée submergée par l’afflux de responsabilité qui n’étaient pas les miennes et je n’arrivais plus à m’en sortir.

J’ai tout donné jusqu’au jour où j’ai craqué psychologiquement. Je me levais le matin en pleurs, j’arrivais au boulot les larmes aux yeux et je m’effondrais dès que l’on me demandait comment j’allais. Je ne me maquillais plus, je ne portais plus que du noir.  Je m’effaçais petit à petit, j’étais perdue.

La boite de Pandore d’un Amour inattendu

En rencontrant mon amoureux l’année dernière, j’avais trouvé une nouvelle stabilité. Cependant, certaines choses ont fait écho à des vécus d’enfance, à des douleurs passées. Par ailleurs, quand l’amour sonne à votre porte après tant d’années et en etant au bord du désespoirs amour, cela conduit mécaniquement à remettre en question le passé et tout le temps perdu. Et cela fait forcément très mal.

« Alors, je méritais bien d’être aimée, finalement ? » Et pourquoi arrive-t-il si tard ? Pourquoi n’était-il pas là plus tôt pour m’aider à faire de meilleurs choix, pour me faire connaitre plus jeune le plaisir de la maternité ? Et si tout ce que j’ai subi avant n’était pas mérité et n’avait pas de sens, n’est-ce pas encore plus dur de le supporter ? »

Dès lors, le barrage émotionnel a commencé à céder et je me suis laissée submerger. Mais je n’ai pas coulé. J’ai demandé de l’aide, et je m’en sors petit à petit.

Brulée

L’accumulation de ma surcharge de travail et le questionnement de mon inconscient m’a tout simplement laissé sur la touche ! Je n’avais plus envie de rien, je voulais juste m’anesthésier le cerveau et ne plus rien ressentir.

Toutefois, j’ai décidé de me battre et d’appeler à l’aide. Chose extrêmement difficile pour moi qui ai toujours eu l’habitude de me débrouiller seule car on n’est jamais mieux servi que par soi-même. J’ai donc décidé de consulter une psychothérapeute. Le chemin est long et éprouvant. J’ai besoin d’une énergie de dingue pour m’en sortir, je ressors de mes séances vidées et bien souvent en larmes car beaucoup de choses refont surface.

Le travail est long et bien plus dur que je ne l’imaginais. Mais je sais qu’il n’y a pas d’autre voie.

Souvenirs

Pourtant j’ai eu une enfance heureuse et aimante. J’ai du mal à comprendre pourquoi je ressens ce mal-être depuis si longtemps. Alors que je n’ai à priori manqué de rien. Mais le fait de me mettre une pression invisible, de vouloir protéger mes proches, de me mettre sur le côté car je ne veux pas les inquiéter… le fait d’avoir été trop forte trop longtemps m’a submergé et m’a mené vers le fond.

Il est hors de question de me laisser toucher le fond trop longtemps. Je veux donner un grand coup de pied au fond de la piscine et remonter. Mais, la remontée est lente et difficile. Elle est semée d’embuches. On remonte un peu et puis on redescend, et ainsi de suite jusqu’à atteindre la surface. L’important est de ne pas se noyer et de savoir profiter de l’oxygène transmise par notre entourage.

Se supporter

Je sais que je vais sortir la tête hors de l’eau. Il me faudra être armée de patience, prendre les jours comme ils viennent et faire en sorte de voir le positif dans tout. Prendre soin de moi jour après jour, me faire dorloter un peu mais pas trop, je vais devoir apprendre à vivre … et à me supporter.

Ma différence doit être ma force et non ma faiblesse ! Je vais devoir apprendre à m’aimer, je vais devoir apprendre à faire en sorte que la nuit devienne jour

un petit sourire de chat pour donner le sourire 🙂

Mais je ne voulais pas vous quitter sans parler du deuxième thème

L’euthanasie est plus facilement admise dans certaines cultures que dans d’autres. En France, on est encore loin de l’accepter tandis qu’en Belgique, Pays-Bas, Suisse, elle est devenue presque banalisée.

Mourir dans la dignité est essentiel pour moi. A l’âge de 13 ans, j’ai perdu mon grand-père. Il était atteint de la SLA (sclérose latérale amyotrophique, une maladie dégénérative). Au fil du temps, il ne pouvait plus marcher, plus écrire, plus bouger les bras et surtout ne plus parler. En effet, tous ses muscles se paralysaient. Cependant, son état cérébral ne subissait aucun dommage. Il était conscient de tout ce qui lui arrivait et il était très difficile pour lui de se voir ainsi diminuer. Il ne voulait pas d’acharnement thérapeutique et je suis certaine que si l’euthanasie avait été légalisée à l’époque, il en aurait fait la demande.

Se voir diminuer physiquement et se sentir être un poids pour sa famille, sont des sentiments durs à porter. Non,  ce n’est pas de l’orgueil mal placé. Au contraire, c’est vouloir rester digne et laisser des bons souvenirs à ceux qui restent. L’euthanasie est une possibilité pour le malade de rester digne. Elle permet aussi d’une certaine manière de soulager ses proches et de leur permettre de mieux appréhender le deuil qu’ils devront affronter, sans ce sentiment d’injustice face à la mort.

L’euthanasie est un droit pour tous les malades qui veulent mourir dans la dignité. J’espère que ce roman fera aussi avancer ce combat, là où il est encore nécessaire. Tout le monde a le droit de choisir la façon dont il veut partir car être un légume, se sentir amoindri et être une charge pour sa famille est sans aucun doute encore plus difficile à vivre pour le malade que la douleur qu’engendre la maladie.

Alors Merci Sophie

Merci Sophie pour ce roman bouleversant et juste. D’avoir réussi à faire sortir ces mots sur mon clavier car avant de me mettre à rédiger cet article je ne voulais pas parler de ce que je vis actuellement. Si tu passes par ici, je ne m’excuse pas de ne pas réellement parler de ton livre car il m’a fait énormément de bien. J’ai exorcisé un petit démon : parler de moi au monde qui m’entoure ! C’est un exercice très difficile … alors encore merci…

Et vous, visiteurs de ce blog, si vous connaissez quelqu’un qui vit, a vécu quelque chose de similaire, si vous-même êtes dans le cas, alors n’hésitez pas, achetez ce petit bijou, offrez-le ou lisez-le. Il fait du bien au moral, il incite à parler. Et quand on est dans cette situation, parler, c’est déjà un peu faire un pas vers la guérison.

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